Soyez amoureuses, vous serez heureuses
Aussi loin qu’il m’en souvienne, mes premiers contacts avec l’estampe remontent à l’enfance, lorsqu’à l’école primaire l’instituteur nous apprenait à réaliser des impressions sur papier à l’aide d’une pomme de terre sculptée en relief sur la tranche, tamponnée dans de l’encre ou de la gouache. Quel bonheur, de voir apparaître, comme par magie, l’empreinte inversée de notre « patate artistique ». Un peu plus tard, ce fut avec du linoléum que nous appliquions la même technique, et quelle ne fut pas ma surprise quand je découvrais alors les linos magnifiques de Picasso…
J’ai toujours ressenti cet attrait pour la gravure, la qualité du trait, la profondeur des noirs, l’odeur de l’encre d’imprimerie…
Empreintes, traces, caractères d’écritures, autant de termes qui évoquent ce que l’homme, par son ingéniosité, a voulu témoigner de son existence et de son passage sur terre. De la main fixée au pochoir dans les grottes préhistoriques au taureau gravé à l’eau forte par l’un des plus grands artistes du XXe siècle, bien que les techniques aient évoluées en se diversifiant, l’intention demeure la même, palimpseste ou mesa, dernier vestige imprimé de notre mémoire avant l’anéantissement.
Du lit de la presse aux tiroirs du collectionneur, la gravure m’apparaît encore aujour'hui comme une pratique artistique étrange, où la rigueur du savoir-faire se mêle au mystère de la révélation au moment de la sortie de l’épreuve.
C’est dans l’atelier de Joëlle Serve, rue Daguerre à Paris, que je me suis initié aux techniques de la taille douce. Dans ce lieu où se côtoyaient des artistes de toutes origines, j’ai très vite constaté combien la précision du dessin, la compréhension des théories de la division de la lumière, et surtout la maîtrise des outils et des différentes techniques imposait une discipline et un long apprentissage, auquel il était impossible de déroger. Ce qui explique sûrement la raison pour laquelle il existe peu de graveurs et autant de mauvais peintres.
Dans ce dialogue incessant entre le travail artisanal de la main et la réflexion de l’esprit, je me suis orienté davantage vers la taille d’épargne, influencé, dans un premier temps par le cloisonnisme de l’école de Pont-Aven, puis par les expressionnistes allemands. Aujourd’hui le travail de Bazelitz ou Doaré semblent m'avoir ouvert de nouvelles perspectives.
Ce renouveau de la gravure contemporaine, élargit ainsi le spectre des possibilités de représentation qu’offre l’estampe, avec comme seul lien qui les rassemble, le désir et la volonté d’inscrire, un acte dans la matière et de marquer sa trace dans le temps, comme cette inscription de Paul Gauguin gravée au fil du bois « Soyez amoureuses et vous serez heureuses ».
Jacques Godin 22 septembre 2014