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Représentation

 

Au-delà de l’opposition figuration/abstraction, déjà périmée par la continuité de la réflexion sur l’art, nous en sommes à l’admission quasi unanime de la « Représentation » comme traduction des conflits entre l’univers intérieur de l’homme et la société, toujours à reconstruire.
C’est dans le courant de la peinture de représentation, qui n’a cessé d’être, traversant les modes plus ou moins éphémères, que se situe sans la moindre ambiguïté Laurent Dauptain, mais avec les atouts d’une forte personnalité qui le démarque résolument de l’exploitation de la simple imagerie de la vie.
Qu’il prenne pour sujet : paysages urbains, natures mortes ou autoportraits, il n’ a d’autre but que de représenter, par les moyens de l’art, les rapports complexes entre l’homme qu’il est, la vie telle qu’il la ressent, et les valeurs et faiblesses de son environnement tant physique que socioculturel.
Ce ne sont donc ni maisons, routes, ciels ou traits d’un visage qui le préoccupent comme éléments figuratifs en soi. Il s’agit d’agencements de structures, perçus comme autant de vecteurs de représentation. Comme résumés conjugables du monde et de son monde. Configurations formelles complexes, où la technique, le dessin, la couleur et l’agencement de la touche jouent les grands rôles. Ce, dans les limites ascétiques, anciennes mais toujours renouvelables, les deux dimensions de l’espace pictural, qu’il soit constitué de papier, de toile ou de bois.
Au-delà de l’intérêt qu’il peut susciter par lui-même, le sujet n’est jamais que prétexte à contenir, et à dire tout ce que le peintre ne peut exprimer que par son art. Surtout par ses autoportraits, Laurent Dauptain nous montre que, finalement, l’ artiste est le vrai sujet de son œuvre, quelle que soit la manière qu’il choisisse pour se communiquer.


 

Jean-Pierre Ghesquière

 

 

 Au sujet de Laurent Dauptain 


Ce qui fait la grande originalité de l’œuvre de Laurent Dauptain, c’est bien sûr l’extraordinaire permanence de son sujet…

Déjà dans sa jeunesse, avant même d’entrer à l’école des Beaux-Arts, le peintre a trouvé son thème : l’autoportrait. A cette époque, à cet âge, cette « auto-représentation » pouvait s’inscrire dans une démarche ordinaire d’affirmation de soi. Par sa constance au fil des années, Dauptain lui a donné une portée bien plus grande où il atteint l’universel.


En 1981 (il a vingt ans), dans sa première exposition intitulée « autoportraits », on pouvait voir un ensemble de peintures mettant en scène, de façon théâtrale, le jeune homme dans un atelier sombre (comme ceux des Hollandais) souvent pourvu des attributs, voire des attitudes de l’artiste romantique. Il défiait le monde. 
Dans une autre salle, à l’étage, on découvrait un étonnant ensemble de douze dessins où Dauptain s’ était représenté, nu, en douze séquences, de l’adolescence à la grande vieillesse. Il avait appelé ce travail « vieillissement ». Il ignorait probablement qu’il présentait là la tâche de toute une vie, qu’ il y traçait son destin de peintre…

Car, en effet ce qui fait la force de l’ œuvre de cet artiste, (elle s’ étale déjà sur plus de vingt-cinq ans) c’ est plus que pour tout autre son développement au long des années, au long d‘une vie. La maturation d’un être humain s’y confond avec celle d’un travail de peintre. Ce que peint Dauptain, avec un dépouillement de plus en plus marqué, c’est en effet le portrait d’une existence. Il nous dit : « Je suis là, je suis vivant et je peins», stigmatisant et défiant ainsi la fragilité de la vie, sa destinée et finalement, notre destinée commune. L’art est ici, comme toujours, mais avec une force explicite, une adresse à la mort.

On est bien loin de toute démarche narcissique ou égocentrique…

Cette répétition d’un sujet toujours identique serait bien vaine si elle aboutissait a des tableaux semblables mais il n’ en est rien. Pourtant Dauptain ces dernières années a limité beaucoup les variantes en se représentant le plus souvent strictement de face et avec un cadrage très serré. Le résultat est une série d’une variété surprenante qui nous fait découvrir que le nombre de versions d’un même portrait est infini tout comme la génétique nous indique que le mariage de deux cellules donne un résultat toujours unique et donc impossible à reproduire exactement.
Cela constitue sans doute un moteur pour l’artiste et justifie ainsi, si c’était nécessaire, cet éternel recommencement. Dauptain est ainsi devenu le détenteur, dans toute l’histoire de l’art, du nombre le plus élevé d’autoportraits… 

Mais les grands artistes ne tentent pas de battre des records pas plus qu’ ils ne cherchent la nouveauté pour elle-même.
Le travail de Dauptain s’enracine dans la nuit des temps.
Le portrait existe depuis l’apparition de l’humanité, depuis que le dessin ou la peinture existent. Les simples empreintes de mains trouvées sur les parois des grottes préhistoriques ne sont-ils pas en quelque sorte des autoportraits ? Le regard, si présent dans les tableaux de Dauptain, fait penser à celui des portraits qui accompagnaient les défunts dans leur tombe en Égypte, dans la région du Fayoum, au début de notre ère.

On trouverait dans des œuvres plus proches de nous, chez des post-impressionnistes, par exemple chez Vuillard ou chez Bonnard, des visages rendus par une traduction de la lumière, un traitement de la touche, qui peuvent faire penser à certains autoportraits récents de Dauptain.
En appliquant des principes similaires sur des formats très importants - des « têtes » qui peuvent mesurer jusqu’à deux mètres de haut -, Laurent Dauptain a repris à son compte cette décomposition et recomposition de la forme par la lumière. Il a extrapolé cette approche par le changement d’échelle qui l’oblige à trouver un nombre infini de nuances pour chaque centimètre carré de peau. Il creuse, fouille, fragmente et restitue finalement ce visage sans en citer les détails mais avec une profondeur et une vérité que la photo malgré sa précision, ne rend pas.

En effet apparaît sur la toile un enchevêtrement de formes, une subtile superposition de taches colorées tantôt grasses, tantôt fluides qui font le délice des amateurs de « belles matières », le régal de ceux qui sont sensibles au raffinement de la couleur. Le visage s’en trouve «indéchiffrable» à proximité du tableau, d‘aucuns y ont vu des paysages. 

Une conséquence inattendue de cette permanence du modèle concerne la recherche incessante d’une nouvelle manière. Ainsi, des variations s’insinuent d’une œuvre à l’autre, dans la couleur, la lumière, la touche, ou encore le nombre ou l’épaisseur des couches. Or, l’habitude est, chez la plupart des autres artistes, de faire varier leurs sujets mais peu leur manière.

Même si de prime abord, les autoportraits de Dauptain nous renvoient un visage, une observation prolongée nous révèle les jeux infinis de la peinture elle-même : beauté d’un glacis, délicatesse d’un frottis, effets aqueux comme dans une aquarelle …


Cette richesse technique, Dauptain la met aussi au service d’ autres sujets comme le portrait, bien sûr mais aussi, et c’est plus inattendu, les fleurs, parfois la nature morte et plus souvent, le paysage ( récemment beaucoup de marines).
On y retrouve un même sens de la lumière et cette capacité à produire finalement une image très réaliste à partir de taches abstraites, en ne fondant pratiquement jamais les couleurs entre elles, l’artiste se contentant de les superposer ou de les juxtaposer. 


Depuis peu le visage a souvent disparu dans les autoportraits de Dauptain pour ne plus montrer qu’ un corps. 
Simple évolution après tant de têtes dépourvues de corps ou même de cou ? Il faudra suivre le devenir de l’ œuvre pour le déterminer. 


 

Jacques Rosenbaum

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